mardi 1 janvier 2008

Mirage de la vie (Imitation of life) - Douglas Sirk, 1959



C’est l’histoire de personnages qui sont tous persuadés que leur vie serait meilleure, plus digne d’être vécue, si seulement leurs rêves étaient exaucés. Nous avons donc l’actrice d’âge mûr (Lora Meredith, jouée par Lana Turner), convaincue que son talent finira par éclater et qu’il la met au-dessus du lot et justifie tous les sacrifices, y compris celui de sa vie amoureuse et familiale. Aussi (et surtout), voici la fille à la peau claire d’une domestique Noire (Susan Kohner, dont la gaucherie souligne encore plus le mal-être) qui ne désire rien tant que d’échapper à la vie de servitude à laquelle la destine sa filiation. Aucune des deux ne réalise, ni avant, ni pendant, ni après la tranche de vie couverte par le film, à quel point l’accomplissement de leurs souhaits est porteuse de désastres pour tout leur entourage, plus encore que pour elles-mêmes.


Ce qui frappe et que ces deux femmes ont en commun, c’est l’attitude bravache et méprisante de chacune envers ce qu’elles perçoivent comme médiocre et indigne d’elles : pour résumer, tout ce qui stigmatise leurs conditions respectives. La veuve aux abois, comédienne dont la notoriété ténue a vite été oubliée, ne supporte qu’à peine l’idée de se commettre dans une publicité idiote (mais alimentaire). Elle jette violemment à la figure de son chevalier servant, photographe de vocation devenu publicitaire pour boucler ses fins de mois, le dégoût que lui inspirent les compromis auxquels il a consenti. Dans un mouvement parallèle, la jeune Sarah-Jane (Kohner) efface méthodiquement tout ce qui pourrait la désigner comme un membre de la « race des esclaves » (ainsi que sont encore perçus, dans une certaine mesure, les Noirs dans l’Amérique de la fin des années 50). Il faut la voir feindre de ne pas reconnaître sa mère venue la voir, ou contrefaire le parler « petit-nègre » dès qu’on lui demande d’aider à servir le dîner. Lora comme Sarah-Jane ne peuvent supporter d’être vues pour ce qu’elles sont et s’ingénient à nier l’évidence.


Mais à la fin du film la première ne sera pas davantage devenue une femme indépendante que la seconde ne sera devenue Blanche. Lora aura toujours besoin d’être entourée de gens qui sont persuadés de son talent et qui la font sortir d’elle-même, qui la valorisent. Et Sarah-Jane n’a toujours pas résolu son problème d’identité, elle aura juste perdu la seule personne qui pouvait la démasquer de sa simple présence. Autant dire que l’une comme l’autre sont vouées à la fuite en avant pour alimenter l’insatisfaction qui est leur moteur commun…

J’ai trouvé ce film gonflé. Parce qu’il montre la profonde futilité de l’obsession (très Américaine, mais pas que) de la réussite et de ses attributs matériels. Et je me régale à voir la partition qui est attribuée à Lana Turner, et qu’elle sert avec énormément de sensibilité et (mais oui !) d’humour. Film gonflé parce que Sirk étale la cruauté extrême du lien implicite qui existe entre la notion de normalité, la position plus ou moins « mainstream » d’une personne dans la société, et ses opportunités de réussite. Si la vie que l’on gagne en se déguisant est si froide, c’est peut-être qu’elle n’est de la vie qu’un reflet, une imitation, comme le laisse entendre le titre original, comme le souligne le générique de début qui laisse couler les diamants jusqu’à oblitérer la lumière. Oui, tout cela est séduisant, soyeux, brillant, mais il en suinte un tel désespoir !


Voir aussi
ici la comparaison avec le film de John M. Stahl dont Sirk fait ici le remake.

Aucun commentaire: