mercredi 22 février 2012

Cher David, monsieur Cronenberg, Maître

Je viens de voir A dangerous method et franchement, j'aimerais que vous m'expliquiez ce que vous vouliez dire. Ou plus exactement: quel sujet vous pensiez traiter au-travers de ce film. Parce que je ne vois pas, même après m'être accordé un temps de réflexion. Je ne suis pas spécialement idiote pourtant - il y a bien des blondes dans ma famille mais je m'en suis bien sortie, dans la vie. Et je suis plutôt bien au courant de votre filmographie, j'oserais même dire que je l'apprécie beaucoup, et pas uniquement parce que vous avez employé mon cher Viggo Mortensen ces dernières années (n'écoutez pas les mauvaises langues qui vous disent que mon inclination pour lui m'égare). 

C'est en amatrice éclairée (aux LED) de votre cinéma que je me sens aujourd'hui, pour tout dire, larguée en rase campagne. Pas moins. 

Votre projet, pour intellectuellement abrupt qu'il paraisse, m'avait pourtant intriguée. L'opposition Carl Jung - Sigmund Freud et le rôle de Sabina Spielrein (patiente puis maîtresse du premier, devenue disciple du second), servie par un trio d'acteurs pour le moins excitant sur le papier (respectivement Fassbender, Mortensen, Knightley)... Toujours ce fichu risque d'"académisme" qui colle aux robes longues et aux perruques du film d'époque mais, que diable, ce devait être un film de vous avant tout! Sur cette base triangulaire je me représentais un Faux-semblants de la psyché, les projections gluantes de la sexualité refoulée remplaçant les malformations congénitales, le divan de la psychanalyse naissante (avec ses sulfureux transferts patient-thérapeute) se substituant, en à peine moins angoissants, aux instruments d'une obstétrique des cauchemars. 






Mais rien de tout cela. Ce que j'ai vu: un Carl Jung (Fassbender avec une moustache) fermement planté dans sa vie de notable zurichois grâce à/à cause de son épouse aussi jolie, lisse et nacrée qu'une perle. Jung admire Freud (Mortensen avec des lentilles marron) pour ses théories et les conteste (tout ne saurait se réduire à des interprétations basées sur le sexe!), sans avoir conscience (il est bien le seul à ne pas le voir, d'ailleurs) qu'il est lui-même le produit d'une répression féroce de ses pulsions. Notez bien que je conçois fort bien qu'il n'envisage pas d'assouvir lesdites pulsions avec la "perle", l'obsession de cette dernière à lui donner comme prévu un enfant mâle à la date décidée me semblant suffisante à émasculer le plus priapique des conjoints.

Jung est donc engoncé dans son gilet mais il tient bon, jusqu'à ce qu'arrive une nouvelle patiente, Sabina (Knightley, toute en tics et accent russe en carton). La soigner revient à exhumer de son enfance l'excitation sexuelle procurée par les punitions paternelles, ce qui met sévèrement à l'épreuve non seulement les positions de Jung, mais surtout ce qu'il croit savoir de lui-même: il cède aux avances de la jeune femme et débute avec elle une relation torturée. 

Enfin, idéalement, c'est ce qu'on devrait voir à l'écran, sauf que (cela me peine de vous l'avouer, David) le film ne nous fait rien ressentir de tout cela. Jung devrait apparaître, au minimum, comme un homme pétri de certitudes et de conforts, lesquels se retrouvent violemment secoués par la confrontation avec Freud, puis déchiquetés au contact de Sabina. Votre Jung soigne Sabina, visite Freud à Vienne, sa vie familiale pue de plus en plus une perfection mortifère, Jung est censé traiter Otto Gross (Vincent Cassel, destroy comme d'hab' en psy camé et obsédé) mais c'est Otto qui le renvoie à sa propre sexualité étriquée (é-triquée?), Jung succombe à Sabina, Jung se dispute avec Freud, Jung rompt avec Sabina.... sans que jamais on n'ait ressenti les tiraillements du désir, de la conscience professionnelle, ou de la rivalité académique (à la limite, ce dernier point est peut-être le moins mal rendu). Jamais on n'a l'impression que le personnage transgresse d'immenses interdits moraux et sociaux, alors que c'est bien le cas. Ses déchirements sont à peine abordés, et ce que lui apportent les "débordements" de sa relation avec Sabina (quelques fessées à peine dévêtues, émaillées de moultes grimaces) n'est pas traité du tout.

Il faut bien le dire, David, pour un film qui aborde "la" grande tentative de conceptualisation de la sexualité, émanant en outre de personnes dont nous savons aujourd'hui qu'elles étaient fort mal équilibrées de ce côté-là, on passe plutôt au large du sujet. Ce qui me surprend, inévitablement, venant de vous. Ce qui me fait, inévitablement, douter de vos intensions réelles: les aurais-je tout simplement manquées?

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