mercredi 28 mars 2012

Time casts a spell on you: Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008)

Je ne me suis pas encore remise du choc que j'ai éprouvé en découvrant ce film, à l'été 2008. Les sentiments, maintenant que je me suis décidée à le revoir, ne se sont manifestement pas altérés. Il fallait bien ces quelque quatre ans, un tel film ne peut se visionner à la légère. Aussi, le moment semblait adéquat pour le revoir, je venais juste de terminer l'album "Gaza1956" de Joe Sacco, qui traite des exactions commises à Khan Younis et Rafah par les soldats Israéliens. 



Ari Folman, à sa manière, fait également œuvre documentaire en nous racontant sa quête, au départ très personnelle. Jeune soldat Israélien de 19 ans, il est envoyer participer à la première guerre du Liban. Des années plus tard, devenu quarantenaire, il s'aperçoit qu'il n'en garde aucun souvenir. Il sait juste qu'il était sur les lieux, sait, parce qu'on le lui a dit, qu'il a été témoin de la découverte des massacres perpétrés dans les camps de Sabra et Chatilah. Ce qui reste obscur, c'est son rôle à lui dans cette histoire. Le cauchemar qu'un ami (lui aussi ancien soldat) lui raconte fait remonter quelques images, quelques visages de ce temps-là. En partant à la recherche de ces visages - des personnes qui l'ont cotoyé à l'armée et peuvent l'aider à se repérer dans ce passé occulté - il fait petit à petit émerger ses propres souvenirs, entrelacés aux souvenirs des autres protagonistes. 


La grande réussite du film est dans ce mélange délicat, sensible mais sans pathos racoleur, entre l'intime et le collectif, entre la subjectivité et la page d'Histoire. C'est sans nul doute lié à la démarche d'enquêteur assumée par Folman et à son besoin personnel de ranimer sa mémoire. Toujours est-il que cela imprègne chaque étape du parcours d'une poésie déchirante - non dans un souci d'embellir des faits insoutenables, mais comme une composante à part entière du point de vue de chacun des interlocuteurs rencontrés par le réalisateur. La géante qui emporte le soldat puceau loin des combats à venir, l'aube factice des fusées éclairantes sur une ville Libanaise, la paix trompeusement idyllique d'un verger où guettent les ennemis, les pirouettes désespérées et gracieuses d'un soldat acculé par les snipers: autant d'images derrière lesquelles de très jeunes hommes, presque des enfants, jouent à ne pas voir la mort qui fait des ravages parmi eux et dont il sont parfois les instruments. Comme si la peur dans laquelle ils vivent conjurait la beauté, ou du moins son apparence, en guise de mesure de survie.




Le recours à l'animation procède de cette volonté de mise à distance d'un réel trop cru, trop blessant. Je sais que ce procédé a fait débat, mais pour moi il contribue à traduire visuellement le tissu d'autofiction (on pourrait dire aussi d'illusionnement, tout est question de point de vue) qui s'est déroulé chez Folman, et sans doute aussi, dans des mesures variables, chez d'autres personnes qui ont vécu de semblables traumatismes. Jusqu'à ce que ce fin voile se déchire, et que l'animation laisse place aux prises de vues réelles - qui nous montrent ce que les yeux du réalisateur avaient oublié avoir vu.


Valse avec Bachir est un film terrible à voir parce qu'il affirme que même lorsqu'on ne savait pas, même lorsqu'on savait sans savoir (une partie de l'horreur mais pas la totalité), même lorsqu'on n'a jamais été le bourreau, on ne peut être considéré comme innocent. Et il n'est pas tout à fait impossible que ce soit ce message subversif qui l'ait privé de récompenses qu'artistiquement il méritait mille fois....

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