samedi 7 avril 2012

What you had, and what you lost: Oslo 31 août (Joachim Trier, 2011)

Anders a 34 ans, il vit (depuis longtemps, devine-t-on) dans un centre fermé pour toxicomanes. Deux semaines avant sa sortie définitive, il obtient la permission de passer toute la journée du 30 août à Oslo à l'occasion d'un entretien d'embauche. Il en profite pour revoir (ou, du moins, pour tenter de recontacter) ceux qu'il pense être ses proches, les gens (parents, amis, ex-copines) que son addiction a fait souffrir pendant des années.

Mais beaucoup de temps a passé pendant qu'il était enfermé. La vie a continué à couler pour les autres: ils ont fondé une famille, ou sont partis vivre à l'étranger, ou encore ont décidé de vendre leur maison pour mieux voyager. Le temps a continué à couler pour tous mais pas pour lui. Comme sorti d'une hibernation, il se réveille dans un monde où tous ont accompli quelque chose, même si ce quelque chose semble médiocre et dérisoire en regard des rêves de la jeunesse (cruelle scène du café au cours de laquelle une jeune fille dévide pour une amie la longue liste décousue de ses souhaits). Tout le monde a fait quelque chose de sa vie, engendré des enfants, battu un record dans un jeu vidéo, tout le monde s'insère dans un réseau de connaissances, tout le monde communique selon les codes propres à sa communauté. Mais pas Anders. 



Lui revient dans la vie de ceux qui l'ont aimé comme un rappel (plus gênant que flatteur, à bien y regarder) de ce qu'ils étaient tous naguère, avant le temps de l'installation dans la société et des compromissions, comme un rappel du peu qu'ils ont progressé depuis. Et quand bien même son ex-meilleur ami tente de lui remonter le moral en lui détaillant ses petites misères de père de famille petit-bourgeois honteux de l'être, Anders ne peut que constater que les existences étriquées des autres dépasseront toujours, de la tête et des épaules, son absence de vie à lui. Qu'au mieux, il ne sera bienvenu chez ses anciennes fréquentations que comme le pourvoyeur (et la victime) d'anecdotes un peu trash, parce que c'est tellement distrayant de rire des années où il était encore Anders le camé, Anders la tête brûlée au brillant sens de la répartie.

Ce qu'il découvre, et qui achève de lui briser le cœur, c'est que ses proches ne sont plus ses proches, qu'ils se sont réfugiés derrière un cordon sanitaire tendu entre eux et lui. Trop profondément marqués par l'ancien Anders, ils ne peuvent ou ne veulent plus faire une place dans leurs vies au nouvel Anders. Ses peurs, son sentiment d'inadéquation et d'échec trouvent une confirmation dans la méfiance qu'il éveille chez ceux qui l'ont connu junkie manipulateur, tout autant que dans les paroles lénifiantes de ceux qui tentent de minimiser son mal-être  - lui si brillant, il va forcément s'en sortir. Ni les uns ni les autres ne peuvent concevoir qu'Anders ne se voit aucune issue, mais c'est pourtant le cas. Il a compris que sa cure l'a isolé davantage que ne l'avait fait la drogue, que ce qu'il a fait pour sauver sa vie est un marché de dupes puisqu'au passage il a tout perdu. La tentation de confirmer les craintes (et les déceptions déjà causées) sera finalement la plus forte...

Voilà un film doux et déchirant sur une époque qui s'est déjà achevée lorsque débute l'histoire, ce dont nous ne prenons conscience que progressivement en suivant les pas d'Anders qui pourtant est censé prendre un nouveau départ. Vieilles photos, affaires rangées dans des cartons de récupération en attendant un déménagement, piscines de fin d'été pas encore vidangées - tout autour d'Anders les pages des vies des autres se tournent, et ces symboles visuels en témoignent. La mise en scène use également d'un environnement sonore très intelligemment travaillé pour ajouter à la subjectivité de cette journée aux côtés d'Anders: brouhaha du café où chaque propos capté semble un message soulignant l'isolement d'Anders, abrutissement phonique d'une boîte de nuit. Anders ne ressent déjà plus la vie que comme quelque chose de lointain, tout juste en perçoit-il les signaux affaiblis.

Je saluerai, pour finir, la performance de l'acteur principal, Anders Danielsen Lie, dont le beau et grand sourire triste me suit partout.

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