dimanche 24 juin 2012

A la Maison Blanche (The West Wing)


Une fois n'est pas coutume, je vais vous entretenir d'une série TV. Et juste comme d'hab', je vais vous parler d'une série que si ça se trouve vous connaissiez longtemps avant que j'en entende parler pour la première fois, illustration accablante de ma propension à suivre une orbite quelque peu fantasque. 



Car je viens de dévorer, ces derniers temps, les trois premières saisons (sur 7) de A la Maison Blanche - titre pour moi beaucoup moins facile à retenir que la V.O. The West Wing, qui a au moins le mérite de nous situer plus précisément et le lieu et le concept de la série: une immersion parmi les conseillers et le petit personnel peuplant l'aile Ouest de la Maison Blanche, leurs vies, les défis dérisoires ou monumentaux auxquels leur travail au service du Président des Etats-Unis les confronte au quotidien.

Ce qui frappe dès le premier abord dans cette série, ce sont ses dialogues, si brillants et si vifs qu'ils déroutent le spectateur accoutumé à une mise en situation plus progressive des personnages et des enjeux. Contrairement à la plupart des gens sans doute j'ai vu The social network, scénarisé par le même Aaron Sorkin, avant The West Wing, ce qui m'a permis de constater que le feu roulant de répliques très écrites, à l'humour parfois très pince-sans-rire, est décidément une signature chez lui.  Et si comme moi vous ne concevez pas de regarder un film ou une série anglophone autrement qu'en V.O., la rapidité démente des échanges, dès la première minute du pilote, associée à la plongée tête la première dans une situation pleinement développée mais dont on ignore tout (une quasi-constante dans ce que j'ai pu voir de la série) a de quoi désarçonner sévèrement. Imaginez que vous attrapiez La dame du vendredi en cours de route (en plein milieu d'une dispute entre Cary Grant et Rosalind Russell, tant qu'à faire) sans rien connaître au préalable de son intrigue, et vous aurez une assez bonne idée du degré de déboussolement. Mais Sorkin sait exactement où il veut nous mener et comment nous distiller les informations sans passer par le procédé tarte à la crème du personnage qui en appelle un autre pour le mettre au courant (et nous avec), on finit donc par retomber souplement sur ses pattes, et par savoir qui est qui dans la baraque. 



 Ce qui est heureux car les (richement décrits) personnages, et les relations qui existent et évoluent entre eux, sont l'autre grand délice de The West Wing. Je vous en présente quelques-uns parmi les piliers de la série, sachant que de nombreux personnages, plus ou moins développés, entrent et sortent régulièrement de l'histoire.

Josiah "Jed" Bartlet (Martin Sheen): prix Nobel d'économie (mazette!) devenu sénateur (Démocrate) du New Hampshire puis président des Etats-Unis d'Amérique grâce à l'équipe de talents réunie autour de lui (les rouages de cette campagne fondatrice nous sont dévoilés par flashes-back lors du double épisode qui inaugure la saison 2: In the shadow of two gunmen). Ne se départissant jamais totalement de son aura professorale, il est capable d'improviser de véritables cours magistraux sur n'importe quel sujet ou presque devant ses collaborateurs diversement médusés/amusés/accablés. 


Heureusement plusieurs défauts ou faiblesses attachants le font descendre du piédestal où son brillant intellect pourrait le figer dans la pédanterie: sa maladresse physique (la saison 1 le voit se prendre une inexplicable gamelle en vélo), sa couardise devant sa femme, la volcanique et très féministe Abigail (Stockard Channing, qui a toujours été ma préférée dans Grease et que je n'avais plus revue depuis Six degrés de séparation), sa profonde sensibilité qui le conduisent par deux fois au bord d'un conflit armé, sa mauvaise foi presque puérile, son attitude de petit garçon devant sa secrétaire, la vénérable Dolores Landingham (Kathryn Joosten), son adoration pour l'équipe (de football américain? de base-ball?) de l'Université de Notre Dame (ce qui vaudra quelques vexations à C.J. dans l'épisode The Portland trip, saison 2), mais plus encore sans doute la maladie qui l'affecte. Cette dernière nous est révélée dans l'épisode He shall, from time to time... au milieu de la saison 1 et constituera un ressort majeur de la saison 2 et de la première moitié de la saison 3 (jusqu'à l'épisode H. Con-172).  



Leo McGarry (John Spencer): directeur de campagne du sénateur Bartlet, devenu son directeur de cabinet (White House chief of staff). Son dévouement total à son Président et à son travail provoquent assez rapidement son divorce. Sa fille Mallory (Allison Smith) sortira brièvement avec Sam, ce qui fera ressortir son instinct exagérément protecteur de papa, en sus d'un tempérament naturellement bourru. C'est lui qui tient la boutique depuis les coulisses, et il est le seul qui puisse se prévaloir d'une relation assez intime avec le Président Bartlet pour le rappeler à l'ordre ou pour pallier son inexpérience (ce qui ne le met pour autant pas à l'abri des colères de son orgueilleux patron).
Il se ferait découper en rondelles pour protéger ses "fils" adoptifs Toby, Josh et Sam, et la réciproque est tout aussi vraie: lorsque l'addiction passée de Leo à l'alcool menace d'être exposée publiquement (épisodes The short list et Take out the trash day, saison 1) ou de blesser politiquement le Président (Bartlet for America, saison 3), les garçons mettent tout en œuvre pour le tirer d'affaire. Ses relations respectives avec sa secrétaire, la lunaire Margaret (NiCole Robinson), et avec celui qui deviendra l'ambassadeur du Royaume-Uni à Washington, le très peu orthodoxe Lord Marbury (Roger Rees), donnent lieu à des scènes comiques très savoureuses basées sur le contraste entre les deux protagonistes.


Josh Lyman (Bradley Whitford): adjoint de Leo, ami de longue date de Sam avec lequel il partage un certain panache, un certain idéalisme - la candeur en moins. Foisonnant d'idées, ayant toujours en tête la topographie des alliances du Congrès, il est aussi terriblement brouillon et bordélique (quelques illustrations dans le pilote de la série, ainsi que les épisodes Celestial navigation, saison 1 et le double épisode Manchester, saison 3). Il a tendance à se croire capable de se sortir de toutes les chausse-trappes (ce qui s'avère souvent vrai, il faut le reconnaître) mais ne serait probablement pas capable de survivre trente secondes sans l'aide de sa secrétaire, Donna Moss (Janel Moloney). Donna qui nous apparaît d'abord comme l'archétype de la blonde idiote mais qui conquiert très vite une place à part entière dans la série (grâce à l'insistance de Whitford) de par ses côtés un peu cinglés (on pense à une sœur cachée de la Phoebe de Friends, surtout dans l'épisode The fall's gonna kill you, saison 2) mais aussi par sa finesse d'analyse qui en surprend plus d'un. Elle sauve ainsi la face du Président et de ses conseillers au grand complet lors de l'épisode The stackhouse filibuster, saison 2, et met la Première Dame en face de ses contradictions dans Dead Irish writers, saison 3. 

On se demandera beaucoup, à voir leur grande complicité, à quel moment Josh et Donna vont enfin se décider à sortir ensemble, mais il semble que cette piste ait été abandonnée au profit de développements concernant leurs vies amoureuses respectives. Josh va ainsi s'intéresser brièvement à Joey Lucas (Marlee Matlin) le temps des épisodes Take this Sabbath day, 20 hours in L.A. et Mandatory minimums (saison 1), une spécialiste des sondages qui va le secouer dans ses idées reçues, avant de jeter son dévolu sur une lobbyiste féministe, la remuante Amy Gardner (Mary-Louise Parker), qui va lui donner du fil à retordre aussi bien dans le cadre de leur relation privée qu'en-dehors (The women of Qumar, We killed Yamamoto et Posse comitatus, saison 3). Quant à Donna, son unique rendez-vous en apparence réussi (épisode Ways and means, saison 3) la place dans une situation des plus embarrassantes (épisode War crimes).


Toby Ziegler (Richard Schiff): directeur de la communication. Personnage tout droit sorti d'un film de Woody Allen: divorcé d'une (très belle) femme dont il n'est pas totalement dépris, bilieux, misanthrope, intimement persuadé que ses apports aux discours du Président (où les mérites relatifs de la virgule et du point-virgule sont laborieusement soupesés) en sont la pierre angulaire, doté d'un sens mordant de l'ironie et d'un fatalisme inamovible. Il est celui qui détecte l'info qui va faire le buzz, celui qui démine en urgence les fuites explosives - ou qui crucifie froidement le malheureux qui n'aura rien vu venir. A ce titre, sa cible est souvent C.J. que la fonction de "voix" de la Maison Blanche" expose sans cesse au risque d'un dérapage susceptible de ruiner les efforts de son supérieur hiérarchique.
Comme beaucoup de cyniques auto-proclamés, Toby est surtout un être profondément pudique qui dissimule (mal) son souci des autres et une vraie tendresse derrière sa raideur physique: envers son frère coincé à bord d'une navette spatiale victime d'une avarie (What kind of day has it been, saison 1), un ami détenu en Indonésie (épisode The State dinner, saison 1), Sam victime de sa propre naïveté (... plein d'épisodes...), un SDF mort de froid dans l'indifférence générale (In Excelsis Deo, saison 1), une charmante poétesse un brin évaporée (The U.S. poet laureate, saison 3) ou carrément l'ensemble du personnel de la Maison Blanche qu'il gratifie d'une émouvante déclaration d'amour (Bad moon rising, saison 2). Conséquence logique, il est profondément heurté lorsqu'il apprend tardivement la vérité sur l'état de santé du Président (17 people, saison 2), ce qui l'amène à dire crûment ses quatre vérités à Jed Bartlet à la grande fureur de celui-ci (The two Bartlets, saison 3), avant que les deux hommes ne se réconcilient finalement autour d'une partie d'échecs (Hartfield's landing, saison 3).


Sam Seaborn (Rob Lowe): directeur-adjoint à la communication, et à ce titre sparring-partner/punching-ball attitré de Toby (ceci doit être compris au sens littéral puisque Toby a l'habitude de faire rebondir inlassablement une balle sur la cloison vitrée qui sépare son bureau de celui de Sam lorsqu'un sujet le préoccupe). Très beau gosse au cerveau anormalement puissant, il est une base de données ambulante sur les sujets les plus divers, ce qui lui donne parfois une touchante aura de geek déconnecté des réalités triviales de l'existence.
Le trait distinctif de Sam c'est sa nature profonde de "chevalier blanc", défenseur éternel des idéaux progressistes, pourfendeur des injustices, ennemi de toute médiocrité - et polisseur infatigable de discours plein de flamme et de rêve (un processus détaillé dans 100,000 airplanes, saison 3). Il ressemble au Mr Deeds de Capra, jusqu'aux yeux bleus de Gary Cooper. Fonçant sans toujours évaluer les dangers, et sans calcul vis-à-vis de la possible duplicité de ses adversaires, il laisse quelquefois des plumes dans le combat, pour mieux rebondir ensuite. Ainsi, développée au long de la saison 1, son amitié avec Laurie (Lisa Edelstein), une étudiante jouant les call-girls pour financer ses études, manque de le propulser à la une des journaux à scandales; dans Take this Sabbath day (saison 1) il suspend ses plans de week-end pour plancher sur le dossier de recours en grâce d'un condamné à mort; dans Somebody's going to emergency, somebody's going to jail (saison 2), il remue ciel et terre pour obtenir la réhabilitation posthume d'un homme dont la vie a été ruinée par les accusations d'espionnage au bénéfice de l'U.R.S.S.
Le gentil Sam se métamorphose en arme ballistique lorsqu'il a été mis à la faute et qu'il passe en mode "revanche", ainsi que le souligne Toby suite aux incidents relatés dans The black Vera Wang et We killed Yamamoto, saison 3: "I don't want him feeling better. I want him feeling mad. Is there anyone you'd rather have as a blood enemy less than Sam? That's how I want him."


Claudia Jean "C.J." Cregg (Allison Janney, la belle-mère de Juno): porte-parole (press secretary). Grande femme élégante à la langue bien pendue, supporte mal d'être traitée comme quantité négligeable et ne manque jamais de le faire savoir (épisode Lies, damn lies and statistics, saison 1) et de faire valoir son instinct très sûr (Ways and means, saison 3). Jamais à l'abri de commettre quelques gaffes retentissantes en salle de presse (What kind of day it has been) ou de se laisser aller à parler en femme de cœur plutôt qu'en routière de la politique (Take out the trash day, saison 1; The women of Qumar, saison 3), elle sait aussi distribuer des piques assassines (On the day before et Gone quiet, saison 3). Se retrouve à plusieurs reprises à gérer des dossiers potentiellement sensibles tels les autoroutes à loups (The crackpots and these women, saison 1), la cartographie (Somebody's going to Emergency, somebody's going to jail) ou le choix de la dinde qui doit être graciée par le Président à Thanksgiving (Shibboleth, saison 2). Ses deux histoires sentimentales sont éphémères: l'une, à peine esquissée, avec le senior White House correspondent Danny Concannon (Timothy Busfield), tourne court dès le tiers de la saison 2 à cause de l'évident mélange des genres que constitue leur idylle; la seconde, avec l'agent des services secrets Simon Donovan (Mark Harmon) chargé de sa protection à compter de Enemies foreign and domestic, s'achève brutalement lors de l'épisode final de la saison 3.
Si ce n'est pas pour autre chose, son personnage restera dans l'histoire pour son numéro du "Jackal" (inventé par l'actrice elle-même) dans l'épisode Six meetings before lunch (saison 1), qui fait dire à Sam " If you haven't seen C.J. do The Jackal, then you haven't seen Shakespeare the way it's meant to be done."


Que vous en dire de plus? (j'en vois qui bâillent, moi ça tombe je suis au bord du syndrome du canal carpien) Que c'est une série jouissive pour quiconque s'intéresse à la plomberie intime de la politique (c'est mon cas), que ça vous fait frétiller de la carte d'électeur (une année d'élections majeures, quelle aubaine!), que toutefois on se cogne régulièrement quelques flons-flons patriotiques façon "ah que l'Amérique elle est belle et grande et qu'elle protège bien ses enfants et la démocratie dans le monde et la libre-entreprise" (je ne vous le cache pas, c'est parfois un brin lourd) mais que c'est pas très important par rapport à toutes les très très bonnes raisons (détaillées ci-dessus, ou dans une très bonne page Wikipedia) de courir découvrir cette série si vous ne la connaissez pas encore.

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