samedi 11 août 2012

Unholy mess: Holy motors (Leos Carax, 2012)

Don't believe the hype. 
(en français, pour les anglo-réfractaires, ça donne un mélange de: Ne croyez pas la rumeur, ne suivez pas la mode, ne prêtez pas attention au buzz)

Cannes 2012, il y a trois mois environ donc, souvenez-vous si l'abus de Cuba libre n'a pas encore anesthésié tous vos neurones: Nanni Moretti était président du jury et les critiques français (je ne saurais dire pour les "autres" critiques si toutefois ils existent, tant nos critiques "maison" occupaient tout l'espace médiatique) se gargarisaient de l'excellence des films français présents dans la sélection officielle - et des récompenses qui devaient "obligatoirement" leur échoir si les choses se déroulaient "normalement". 




Au centre de beaucoup, sinon de toutes, les attentions (côté critiques hexagonaux), le Grand Retour (avec majuscules, voui) de Leos Carax, ci-devant titulaire d'un doctorat de cinéaste maudit avec mention depuis le grandiosement mégalofoutraque Les amants du Pont-Neuf et un premier come-back droit dans le mur (Pola X). Ayant vu le premier de ces films, pas le second, j'attendais le nouvel opus sans l'attendre, comme une chance de me réconcilier avec Carax, sans plus. Les borborygmes voluptueux des critiques cocorico chantèrent les louanges de Holy Motors dès la fin de l'avant-première, et le délire ne retomba pas (au contraire, il me semble) une fois que le jury cannois décida, ô suprême camouflet, de ne le point récompenser (mais alors que pouic, nib, walou) - les roucoulades sucrées laissèrent place aux commentaires les plus acerbes sur le manque de discernement "forcément consternant" reflété par le palmarès.

Faire un choix c'est accepter de ne pas plaire à tout le monde (voire de ne plaire à personne), ça va avec la notion de compétition, de processus sélectif. C'est introduire une part de subjectivité, c'est prendre le risque de l'erreur, ou à tout le moins de se prononcer en n'ayant pas toutes les informations en main. Rien de tout cela n'est scandaleux en soi. Après, reste à admettre que le jury puisse ne pas célébrer ce que l'on a adoré, et c'est sur ce point que bien de nos critiques ciné français pèchent quelque peu, à mon avis....



Mais retournons à nos Holy Moutons, heu, Holy Motors: ceci (ce film) valait-il cela (tout ce bruit et cette fureur)? Si j'étais malicieuse (ce que je ne suis pas, vous connaissez mon sérieux inébranlable et ma sainte horreur des jeux de mots faciles, vade retro calemburas), je dirais pour continuer sur la référence à Macbeth que c'est une histoire "racontée par un idiot, et qui ne signifie rien", mais ce serait injuste vis-à-vis de Carax, dont je ne méprise pas le niveau intellectuel a priori

En revanche, je maintiens que son film n'a pas grande signification pour moi. Où diantre les critiques ont-ils trouvé tant de profondeur, tant de références cinéphiliques, et des images à ce point belles et troublantes qu'ils en parlaient avec des trémolos dans la voix? Qu'ont-ils vu, dans ce quasi-film à sketches autour d'un acteur transformiste incarnant mille vies autres que la sienne (Denis Lavant), passant de l'une à l'autre grâce à la stretch limo conduite par la très distinguée Cécile (Edith Scob), qu'ont-ils vu dans tout cela que j'ai été trop obtuse/stupide/inculte pour voir? Et d'abord, dois-je me considérer comme obtuse/stupide/inculte parce que je n'ai rien trouvé de tout cela, ou parce que cela m'a paru secondaire au regard de l'émotion que j'attends, que j'exige de tout film, et qui ici m'a éludée? Je peux me passer (avec joie!) de comprendre un film de A à Z du moment que le réalisateur me donne une porte d'accès, même minuscule, aux sensations, aux sentiments: voir mon admiration sans borne pour les films de Claire Denis, qui sont loin d'être les œuvres cinématographiques les plus explicites qui soient, mais qui sont des tissages sensuels des plus sophistiqués. 



Passé un prologue intriguant, lynchien (Carax se réveille dans ce qui ressemble à une chambre d'hôtel et, via une porte secrète dans le mur, accède à une salle de cinéma dont tous les spectateurs sont endormis) et un curieux intermède dans une cathédrale (Lavant et une troupe d'accordéoniste, plus Bertrand Cantat à l'harmonica, interprètent une marche frénétique tout en sillonnant les travées à toute vitesse), aucune des images balancées comme par mégarde sur l'écran ne m'a touchée. Ni la parade nuptiale des deux créatures couvertes de capteurs de mouvement. Ni la jeune femme (elle-même une actrice rejouant la vie d'une autre, à ce que j'ai compris) au chevet de son oncle agonisant en russe et en français. Ni la gamine mal dans sa peau que son père vient chercher au sortir de sa première boum. Ni Eva Mendes doublement "potichisée", une fois en mannequin hiératique enlevée par un quasi-Quasimodo mangeur de fleurs des cimetières, une seconde fois lorsque son ravisseur lui confectionne une très seyante burqa de mousseline avant de s'endormir, en faunesque érection, dans le giron de la belle. Ni Kylie Minogue en ancienne amante chantant son désenchantement depuis les toits de la Samaritaine avant de se jeter dans le vide. Ni Lavant assassinant deux de ses sosies (l'un d'entre eux le tuant à son tour? je crois?). Ni le fantôme de Katerina Golubeva qui plane sur la dédicace finale, et probablement aussi sur certains des épisodes du film, et sur les épaules voûtées de Carax (mais si on doit connaître la bio d'un cinéaste sur le bout des doigts pour accéder à ses films, on n'est pas rendus).



Je n'ai pu retenir quelques ricanements nerveux devant ce muësli invraisemblable de scènes (quelques coups d'œil à mon voisin d'accoudoir et néanmoins conjoint m'ont rassurée, ce n'est pas à cause de ce film que notre couple va se briser) dont le dénominateur commun semble être le caractère profondément saugrenu - ce qui peut passer, sous certaines latitudes, pour de l'originalité, j'imagine. Maintenant, tout ce qui n'a jamais été fait n'est pas forcément "à faire", toute originalité n'est pas bonne à prendre juste parce qu'elle apporte de la nouveauté au paysage (surtout que dans ce cas précis, elle n'apporte absolument rien d'autre). "On n'a jamais vu" un film gaulé comme ça, mais une fois qu'on l'a vu, est-on plus avancé pour autant?

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