dimanche 6 avril 2014

Little grey fairytales and little white lies: The Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014)

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Un écrivain (Tom Wilkinson et sa version "jeune", incarnée par Jude Law) se remémore sa rencontre, une vingtaine d'années auparavant, avec l'énigmatique Zero Mustafa (F. Murray Abraham), propriétaire de l'autrefois prestigieux et désormais fort décrépit Grand Budapest Hotel, établissement thermal niché dans les montagnes de la petite République de Zubrowka, en Europe de l'Est. A sa grande surprise, le vieil homme était sorti de sa légendaire réserve et s'était mis à lui raconter son incroyable histoire, celle d'un jeune lobby boy réfugié et sans attaches (Tony Revolori) devenu le disciple du tout-puissant Gustave H. (Ralph Fiennes), concierge universellement respecté du Grand Budapest alors à l'apogée de sa gloire entre les deux guerres mondiales...



Comment raconter ce film foisonnant de Wes Anderson - je veux dire: particulièrement foisonnant? A quoi se raccrocher, quelles références brandir pour en parler? Faut-il se fier à la mention au générique "inspiré de l'œuvre de Stefan Zweig", dont effectivement on peut percevoir un peu de l'ironie grinçante ici et là (je parle avec précautions, ayant lu très peu des livres de Zweig)? Ou peut-on derechef invoquer les mânes du grand Ernst Lubitsch, qui a quasiment inventé à lui tout seul pour Hollywood un certain mélange d'élégance désuète et cultivée, très Mitteleuropa, et de glamour à l'américaine? 



Il est indéniable en tout cas que les dérapages plus ou moins contrôlés et le badinage aussi frénétique qu'intéressé de Gustave H. l'apparentent aux personnages masculins vus dans Haute pègre (Trouble in paradise) ou encore Jeux dangereux (To be or not to be) - ce dernier ayant de plus en commun avec The Grand Budapest Hotel le message que la préservation d'un certain standard (moral, intellectuel comme esthétique) est la plus sûre forme de résistance contre la barbarie. 



Et ici, de la même manière que chez Lubitsch, l'intrigue ne sert qu'à mettre en mouvement (désordonné, de préférence) les personnages et à provoquer la cascade de rebondissements la plus farfelue qui soit - il s'agit ici de la mort suspecte de la richissime Madame D. (Tilda Swinton), une des "vieilles blondes" bichonnées par Gustave H., et dont le leg controversé à ce dernier provoque l'ire de ses autres héritiers. Il est très vite clair que la question d'élucider les circonstances du décès de Madame D. est totalement accessoire, et que seul compte le flux romanesque de l'histoire qui ballote des personnages plus colorés les uns que les autres (en particulier ceux incarnés respectivement par Jeff Goldblum, Willem Dafoe, Saoirse Ronan et Harvey Keitel - mamma mia quelle distribution!) et conduit le binôme improbable formé par Gustave et Zero à se serrer les coudes, comme avant eux d'autres filiations de fortune formées les films précédents d'Anderson.



Comme de coutume chez Anderson le décor central est un monde clos sur lui-même (que le réalisateur nous présente, non sans une solide dose de malice, comme une réplique burlesque de l'angoissant Overlook Hotel de Shining!), une maison de poupées que les personnages quittent et à laquelle ils reviennent, en imagination ou physiquement, comme attachés à elle par un lien indéfectible. A l'image de l'île de Moonrise Kingdom, de l'école de Rushmore, du navire Belafonte de La vie aquatique, de la maison familiale de La famille Tenenbaum ou du train de A bord du Darjeeling Limited, l'hôtel est à la fois une fourmilière vue en coupe, avec ses minuscules ouvrières et ses tunnels tarabiscotés qui conditionnent les rebondissements de l'histoire, et un personnage à part entière qui colore l'humeur de ceux qui le côtoient. 


Telles les mythiques Courtisanes au Chocolat nichées dans les coquettes boîtes roses du pâtissier Mendl, The Grand Budapest Hotel se déguste à petites bouchées, fait s'envoler les papilles de plaisir, et se termine à regret.


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